La vie religieuse à Abée
Dans la notice qu’il écrivit en 1805, l’abbé Dehut, curé de Scry, déclara qu’on voyait à Abée une 4ème tombe, vraisemblablement un tumulus. Au XIVème siècle, la cîme en fut rasée et rejettée à la base, et une chapelle dédiée à Saint Rémi, apôtre des Gaules, y fut bâtie. Il ajoute: “il s’en trouvait une cinquième à Scry entre l’église et le presbytère, qui subsista jusqu’en 1780, qu’on y fit passer la nouvelle chaussée, dite la chaussée de France”. En raison de la forte pénétration romaine dans la région avoisinante, on peut présumer qu’Abée était déjà à cette époque habité et mis en valeur. Diverses observations historiques permettent de conclure à des origines bien antérieures au XIème siècle. Le territoire de la seigneurie d’Abée était entièrement compris dans l’archidiaconé du Condroz et dans le concile (doyenné) d’Ouffet. Pendant les derniers siècles du moyen-âge et une grande partie des temps modernes, on y avait compté trois églises, dans lesquelles le culte était exercé régulièrement: Scry, dont le patron était saint Martin de Tours, Abée, chapelle dédiée à saint Rémy, et Tilliesse, dédiée à la Très Sainte Vierge Marie. Nous possédons peu d’informations précises au sujet de la vie religieuse du hameau d’Abée. En revanche, nous savons qu’entre 1215 et 1299, la dîme d’Abée avec ses dépendances a été cédée par le chevalier Eustache et son épouse, à l’abbaye d’Aywières, et que, suite à un échange, elle est passée, en 1254, à l’abbaye Saint-Hubert, qui reçut en même temps le droit de collation.
Trois siècles plus tard, le 26 novembre 1565, Jean de Blehen stipule dans son testament “item laisse ledit testateur pour Dieu et en pure aul mosne pour avoir annuellement et à perpétuel lentretenance dung chapelain, à la chapelle Saint-Rémy, d’Abée, se cognaissant estre longtamps de la parochilale englise, affin davoir messes tous festes et dimanches et tous les jeudis la messe du Saint-Sacrement, 15 muids et six stiers de spelte, rente héritable que le dit testateur at acquis à quatre massuyrs”. Cette libéralité n’est pas la seule dont bénéficie l’église Saint-Rémy. Il lui lègue une autre rente de 7 muids, qui doit servir à l’entretien de la chapelle, une rente de deux muids, et enfin une rente de 100 florins. Il rappelle et confirme une rente de 6 muids créée par son prédécesseur sur la grande commune appelée les Douze Bonniers.
A la suite des guerres du XVIIème siècle, la chapelle d’Abée perdit une grande partie de ses revenus. Il fut fort difficile d’y assurer le culte. C’est pourquoi à la fin du XVIIIème siècle, le 8 août 1793, l’évêque décida que l’office de la chapelle d’Abée et le ci-devant bénéfice de Sainte-Anne seront réunis à perpétuité à la cure de Scry. Le 20 août suivant, l’investiture en fut remise à l’abbé Dehut, curé de Scry, par l’archidiacre du Condroz.
La seigneurie d’Abée
L’organisation du régime seigneurial a marqué pendant dix siècles l’évolution des classes rurales dans les régions les plus diverses de l’Europe. Dans chaque centre habité de quelque importance, un notable disposait d’une partie importante du sol et d’une autorité sur la population. La seigneurie d’Abée reflétait parfaitement cet aspect complexe. Elle était un “alleu”, c’est-à-dire un bien tout à fait indépendant, ne relevant d’aucun suzerain. Le seigneur restait soumis à un droit successoral, emprunté vraisemblablement au droit romain. Si la seigneurie d’Abée a pu se maintenir et se perpétuer pendant des siècles sans changement notable, elle le doit à la richesse de ses seigneurs. Ceux-ci ont pu assurer à chacun de leurs enfants leur part, sans devoir porter atteinte à la structure des biens composant leur succession. Cette seigneurie a tout d’abord appartenu à une famille du même nom, dont un des représentants, fut Lambert d’Abée, mort en 1312, et dont le dernier descendant s’appelait aussi Lambert. Lambert d’Abée avec son épouse Gertrude († 1310), furent les premiers seigneurs d’Abée dont on a conservé le souvenir. Ils sont représentés en gisant sur la dalle funéraire se trouvant au milieu du chœur de la chapelle. Celle-ci, semble-t-il, n’était alors qu’un modeste oratoire. Comme l’indique l’archéologie, l’histoire de la chapelle commence au XIIème siècle. La fille de Lambert, Marie, épousa Godefroid de Blehen qui mourut le 22 décembre 1402. La descendance de ce dernier se maintint à Abée jusqu’en 1566, date du décès de Jean de Blehen. Celui-ci avait fait reconstruire l’église de Scry et l’avait dotée généreusement, ainsi que celle d’Abée. Jean de Blehen lègua la seigneurie à Henri d’Eynatten, seigneur de Lichtemberg. En 1790, mourut la dernière représentante de cette famille, Ange-Philippine, dont les dalles funéraires encadrent celle de Lambert.
Pendant cinq siècles, ces riches seigneurs vont embellir leur château et agrandir leur chapelle en prolongeant la nef (XVIIème siècle). L'histoire nous apprend aussi que l'impiété de la Révolution française n'a pas épargné ce lieu : "Cette année 1794 qui fut celle de la seconde et dernière entrée des armées françoises dans le païs de Liege, la chapelle d'Abée, d'abord et a l'improviste entourrée des avant-postes, a été volée, la veille de leur départ: les chasseurs à cheval, qui bivuaquoient à l'entour, depuis plus d'un mois, forcerent une fenêtre, et enleverent le Calice et tous les linges. Le calice avoit coupe et paterre d'argent et pied de cuivre; il appartenoit au benefice de Tilliesse; on l'avoit prêté à la chapelle d'Abée, en attendant que celle-ci auroit le moïen de s'en faire faire un. il n'a pas été possible, depuis l'arrivée des avant-postes, d'ouvrir la Chapelle, pour en retirer le mobilier, attendû que les chasseurs en vouloient faire leur caserne, ou leur écurie // les françois arrivèrent le 15 aout et ils marcherent en avant le 16 septembre.. La nuit du 5 au 6 janvier 1797 l'église paroissiale a été aussi volée; ..." Après la révolution française, la chapelle appartiendra à plusieurs riches propriétaires. Vers 1850, elle sera dotée d’une tour surmontant une nouvelle entrée en fond de nef. Cette tour sera réalisée en ‘pîne d’avône’, un grès sablonneux jaunâtre dont l’exploitation commencera au XIXème siècle. Le dernier châtelain d’Abée, Monsieur Henroz de Maere est décédé en 1978. Les terres et le château furent vendus séparément, tandis que la chapelle restera propriété des héritiers. Le 19 mai 1992, la chapelle fut vendue à l’ASBL “Chapelle Saint-Rémy” qui a pris en charge sa restauration afin de la rendre au culte divin.
Description
La chapelle d’Abée a été remaniée et complétée au cours des siècles. Elle est construite en moellons de calcaire. La nef rectangulaire comporte trois travées irrégulières. Le chœur date du XIIème ou du XIIIème siècle. Son chevet, à trois pans aveugles, est renforcé de chaînages aux angles et repose sur un soubassement à ressaut chanfreiné. Les deux travées finales, plus récentes (XVIème siècle), ont été remaniées au XVIIIème. Sur les deux gouterreaux de la nef, au nord et au sud, se trouvent trois fenêtres en tiers-point, dont la première semble plus ancienne (XVIème). Sur le gouterreau nord, près de l’angle ouest, l’ancien portail à linteau en mitre a été muré et timbré d’une croix en relief. Vers 1850, on a ajouté, à l’ouest, une tour carrée en moellons de grès jaunâtre (pierre d’avoine) à encadrement de gros moellons de calcaire. Le portail central ainsi que les trois baies dans la partie supérieure de la tour, ont un encadrement de calcaire en plein cintre à clé. Le recouvrement est en ardoises. Le pavement est composé de dalles de pierre bleue.
Au centre du chœur, se trouve la dalle funéraire de Lambert d’Abée et son épouse Gertrude (315 cm x 160 cm). Cette pierre tombale est l’une des plus remarquables du pays. L’abbé Guillaume, ancien curé de Vierset et de Limont, historien à ses heures, la décrit ainsi: “le gisant est vêtu d’une cotte d’armes portant des armoiries. La défunte est revêtue du bliand et d’un grand manteau dont elle ramène les plis sous le coude gauche. L’ovale de la figure est entouré de la guimpe et d’un voile tombant droit du côté de chaque tempe; ces deux figures s’abritent sous deux arcatures trilobées, séparées par un pinacle et supportées par des colonnettes avec beaux contreforts. Des anges manient l’encensoir et la navette à l’encens.” L’inscription en caractère gothique occupe tout le contour de la pierre et débute par une petite croix: “X Chi. Gist Mesires. Lambiers. Sires d’Abeies. Jadis Chevaliers. Ki. Trepassat. En. L’an de Grase MCCC et XII. La. Nuit. Delle. Saint. Thomas.”. “Chi. Gist. Mme Gertrus. Sa. Femme. Ki. Trepassa. L’An de Grace MCCC et X le Merkredi Après La Moieu D’Awei Proies. Pos. Les Ames. X” A noter aussi, l’épitaphe d’“Ange-Philippine de Masbourg de Somal, dame d’Abée; Scry, Saint-Fontaine, Haut Vouée des Grands et Petits Avents-en-Condroz, dernière de son illustre maison. 13 novembre 1790”. On admirera également l’autel du XVIIème siècle ainsi que le banc de communion qui lui est assorti.
La restauration de la chapelle Saint-Rémy
La restauration de la chapelle d’Abée poursuit avant tout un but spirituel et religieux. Longtemps, cet oratoire a été un lieu de pélerinage local en l’honneur de la Très Sainte Vierge Marie, invoquée sous le vocable de Notre-Dame des Miracles. En raison de l’état de délabrement de la chapelle, la petite statue polychrome la représentant a été placée en lieu sûr.
Afin de préserver le caractère marial de ce lieu, une copie de la peinture de la Très Sainte Mère de Dieu vénérée au sanctuaire d’Ostra Brama en Lituanie, sous le vocable de Mater Misericordiæ, c’est-à-dire Mère de la Miséricorde, a été insérée dans le retable de l’autel. L’image exposée à Abée a été réalisée en 1991 sur une planche de bois dans le strict respect des techniques iconographiques. Elle reproduit librement la peinture vénérée en Pologne depuis le XVIIème siècle, dont l’auteur fut un peintre anonyme de la Renaissance italienne. Par dévotion et pour honorer la Très Sainte Vierge Marie, ce tableau a été revêtu d’un manteau d’argent recouvert d’or. Avec sa décoration de feuilles d’or et d’argent, l’image vénérée en la chapelle d’Abée représente la Vierge rayonnante telle que l’on peut actuellement contempler en Lituanie.
La Vierge d’Ostra Brama fut solennellement transférée en l’église Sainte-Thérèse d’Avila de Vilnius en 1671. A partir de ce moment, la vénération publique de cette Vierge miraculeuse commença à se répandre à la suite de nombreux grâces et miracles qui la firent connaître et aimer par le peuple chrétien.
Le 2 juillet 1927, Notre-Dame d’Ostra Brama fut solennellement couronnée Reine des Cieux et Reine de Pologne. Protégé par sa céleste Patronne, le sanctuaire d’Ostra Brama fut l’une des rares églises à ne jamais avoir été fermée ou dévastée durant la persécution soviétique.
En 1934, sainte Sœur Faustine, alors qu’elle était religieuse à Vilnius, reçut surnaturellement la mission de manifester au monde la Miséricorde divine et de “faire peindre un tableau, conformément à ses visions”, comme le note son confesseur.
Ce tableau fut exécuté par le peintre Kazimierowski sous les indications immédiates de Sœur Faustine. Il fut présenté pour la première fois à la dévotion publique lors du Triduum de Pâques en 1935, en la chapelle même d’Ostra Brama. Depuis, cette dévotion a pris une extension particulière dans le monde entier, notamment grâce à la canonisation de Sœur Faustine en l’an 2000, et la reconnaissance officielle du culte public de la Miséricorde divine.
Notre-Dame, Mère de la Miséricorde, appelée aussi Vierge de l’Avent, a préparé l’avènement de la Miséricorde divine dans le monde. Le sanctuaire d’Ostra Brama est comme la source de la dévotion et de la vénération, ainsi le disent saint Augustin et saint Thomas d’Aquin, "du plus grand Attribut divin", déversant Ses flots d’eau vive et salutaire dans un monde bouleversé par les conséquences du péché et de l’apostasie.
Le cœur spirituel de la chapelle d’Abée se trouve dans la conjonction de l’image miraculeuse de Notre-Dame, de l’Autel de la célébration du Sacrifice mystique du Christ et du Tabernacle, séjour du Dieu réellement présent parmi nous sous les Saintes Espèces sacramentelles. La Grâce principale découlant de cette icône est de nous conduire et de nous apprendre à aimer la source de toute la Miséricorde divine du Sacré-Cœur de Jésus se déversant sur l’humanité: le Très Saint Sacrement de l’Eucharistie et le Saint Sacrifice de la Messe.
C’est dans l’espérance de voir un jour de nombreux fidèles goûter aux eaux salutaires, sanctifiantes et pacifiantes émanant du Sacré-Cœur de Jésus, que l’ASBL “Chapelle Saint-Rémy” a entrepris l’œuvre de la restauration de ce vénérable édifice religieux. Cette œuvre ne profite d’aucun subside officiel ni d’aucune subvention publique ou privée. Elle ne dépend que de la générosité des fidèles. Toute aide financière peut être versée au numéro de compte figurant en dernière page.
D’avance, nous en remercions les bienfaiteurs et nous les assurons de nos prières au Très Saint Sacrifice de la Messe célébré sous le regard de Notre-Dame, Mater Misericordiæ.